L’histoire de Sada Yacco, la geisha qui ensorcela l’Europe

19.05.2019

Courtesy of Cultural Path Futaba Museum

Longtemps, l’héritage artistique qu’a laissé la Japonaise Sada Yacco à l’Europe a été diminué, si ce n’est passé sous silence. Ces derniers mois, plusieurs publications lui redonnent ses lettres de noblesse. Le magazine Dazed va jusqu’à souligner qu’elle a été, en plus d’une comédienne de renom et d’une danseuse hors pair, la “première influenceuse beauté” – avant-même que ce terme ne soit inventé, un siècle plus tard.

Née dans une famille fortunée en 1871, descendante d’une famille de samouraïs, Sada Yacco (que l’on écrit aussi Sadayakko) doit sa brillante carrière à un mauvais coup du sort. À sept ans, son père, usé par les dettes, l’abandonne auprès de geishas. À leur contact, elle apprendra tous les arts traditionnels : la cérémonie du thé, l’arrangement floral, le chant et surtout la danse, et le théâtre. Après être devenue la favorite du Premier Ministre à seulement 15 ans, grâce à sa beauté et à celle de ses spectacles, elle rencontre son mari, le comédien Kawakami Otojiro, avec lequel elle ouvre un théâtre à Tokyo. Ensemble, ils se lancent ensuite à la conquête des États-Unis.

En Amérique, Sada Yacco devient comédienne. Au début, sa troupe connaît des mois d’errance, puis rencontre un succès croissant. Respectée par la superstar de la danse Isadora Duncan, elle est propulsée par une autre célébrité : l’Américaine Loïe Fuller qui lui ouvre les portes de son théâtre parisien – et lui sert même d’interprète lors de ses interviews pour des magazines étrangers. Lorsqu’en 1900, au moment de l’Exposition Universelle, Sada Yacco traverse l’Atlantique pour se rendre à Paris et interprète La geisha et le chevalier sur les planches de la capitale, le succès est immédiat… C’est la première fois qu’une troupe de théâtre japonaise se produit en France, et l’engouement est tel que la jeune femme anime, dans la foulée, une garden party à l’Élysée.

Les succès s’enchaînent. L’une des rares photos qui subsistent de Sada Yacco a été prise par Pablo Picasso. Debussy s’inspire d’elle en composant ses œuvres. En plein “japonisme”, Sada Yacco est une idole et muse pour les artistes français. Le succès commercial est aussi au rendez-vous : Guerlain, surfant sur la vague, crée le parfum “Yacco” en son hommage. Pendant ce temps, la jeune femme lance ses propre marques de cosmétiques et de kimonos, commercialisées dans une boutique à son nom à deux pas de l’Opéra Garnier, à Paris.

Son art du maquillage tiré de la tradition geisha impose un autre style de beauté, à mille lieues de la recherche de naturel omniprésente en Europe : elle impose la bouche rouge, le fard épais, les yeux cernés de noir. Les Parisiennes l’adorent et s’inspirent de son art de vivre. Elle le leur rend bien, et aura ces mots pour elles, dans une interview pour le magazine Femina : “Tout leur va, tout leur donne l’air délicieusement joli, elles tirent le meilleur de tout ce qui les entourent… Tout, à Paris, est d’un goût exquis. Chaque Parisien est un artiste, même lorsqu’il ne l’est pas par profession.

À son retour au Japon, en 1901, Sada Yacco n’est plus une simple vedette mais une à star à la renommée internationale, que ses contemporaines érigent en symbole de la femme moderne et libre. Sept ans plus tard, elle ouvrira d’ailleurs la première école de théâtre à destination des femmes. Son destin est raconté par Lesley Downer dans un livre : Madame Sadayakko: the Geisha who Bewitched the West (en français : La Geisha qui a ensorcelé l’Occident)

Courtesy of Cultural Path Futaba Museum